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Pharmacogénétique et individualisation des traitements en neuropsychiatrie

Rédaction Tempo Médical. D’après une symposium satellite de Lundbeck,
présenté par le Professeur Vincent Haufroid (UCL St Luc) – Congrès de Neuro-psychiatrie 2023

La pharmacogenétique s’intéresse à l'influence des caractéristiques génétiques héréditaires sur la réponse clinique aux traitements médicamenteux. Cette réponse tient compte de l'efficacité thérapeutique et de la survenue potentielle d’effets secondaires. Le but de la pharmacogenétique est de pouvoir prédire la réponse sur base en partie de caractéristiques génétiques et de pouvoir faire la différence entre les « bons » répondeurs à une thérapie et les « mauvais » répondeurs (en raison soit d’une réponse diminuée, soit de la présence des effets secondaires, voire d’une toxicité) afin de mettre en place des stratégies thérapeutiques optimales, avec le choix du médicament le plus adapté et d’une optimisation des doses à administrer.

Les antidépresseurs et antipsychotiques les plus prescrits sont métabolisés par différents cytochromes. Parmi ceux-ci, le cytochrome 2D6 (CYP2D6) et le 2C19 (CYP2C19) sont très polymorphes. « Le 2D6 par exemple, comme tous les gènes, peut avoir des variants génétiques, avec des changements dans la séquence nucléotidique du gène. C'est d’ailleurs un gène extrêmement polymorphe. Mais à côté de ça, ce gène est caractérisé par ce qu'on appelle des variants structurels. Il peut y avoir de multiples copies du gène actif, ce qui va donner une capacité de métabolisation plus importante ou au contraire, une absence de ce gène, ce qui va donner une absence de métabolisation. Et vous pouvez avoir des recombinaisons avec des pseudogènes », a expliqué le Professeur Haufroid lors de sa présentation. « Les combinaisons peuvent être relativement compliquées à interpréter d'un point de vue génétique, et en laboratoire, on se consacre à l’identification des haplotypes ou des allèles pour lesquels il est possible de prédire une réponse », afin d’établir un score génétique qui va permettre d’évaluer un phénotype. On retrouve (pour le CYP2D6) des phénotypes métaboliseurs lents, intermédiaires, normaux et ultra-rapides.

Dans la population européenne, jusqu’à 7% des patients sont des métaboliseurs lents pour le CYP2D6, alors que 3,5% des patients sont métaboliseurs ultra-rapides. « Ceci explique une partie des effets secondaires que l'on rencontre chez les métaboliseurs lents et une partie des non-réponses chez les métaboliseurs ultra rapides ». La situation est quelque peu différente pour le CYP2C19, avec un phénotype supplémentaire - les métaboliseurs rapides - qui s’identifie par la présence hétérozygote d'un allèle, avec une augmentation de l’activité enzymatique du CYP2C19. De même, une partie significative de la population européenne a un phénotype soit de métaboliseur lent, soit de métaboliseur ultra rapide pour le CYP2C19, d’environ 3 et 5%.

Lorsqu’il est question de traitement, la génétique peut donc avoir un impact potentiel en termes de réponse clinique. L'objectif de la pharmacogénétique est de proposer, non pas une dose standard qui va donner des courbes de pharmacocinétique différentes d'un patient à l'autre, mais plutôt d’adapter le traitement, en changeant le médicament donné ou en adaptant la dose de celui-ci, en fonction du statut génotypique pour obtenir une ‘area under the curve’ (AUC) similaire d'un patient à l'autre.

Médicaments psychotropes et CYP

En matière d’antidépresseurs, et plus précisément les SSRI, on constate que certains médicaments sont plutôt métabolisés par le CYP2C19 et d'autres, plutôt par le CYP2D6. Par exemple, l’escitalopram est métabolisé essentiellement par le CYP2C19 pour donner un métabolite inactif. Une étude rétrospective sur plus de 2.000 patients a évalué l'impact du génotype à la fois sur la réponse pharmacocinétique, mais également sur la réponse clinique suite à la prise d’escitalopram. Représenté par la Fig. 1, « on observe en abscisse l'augmentation d'activité du CYP2C19. Les métaboliseurs lents sont représentés sur la gauche et les métaboliseurs ultra-rapides, sur la droite. Avec la courbe bleue, qui représente la concentration plasmatique d’escitalopram, on observe que la concentration diminue en fonction de l'activité du CYP2C19. En noir, c'est le pourcentage de patients qui sont en dessous d'un seuil de réponse. Et donc, vous voyez que le pourcentage de patients augmente. Mais ce qui est intéressant pour les cliniciens, c'est la courbe rouge. Et vous voyez que dans les deux extrémités, vous avez une augmentation de la proportion des patients pour lesquels on a dû changer le traitement au cours de la première année, soit à cause des effets secondaires soit du manque d’efficacité. Donc, on a dû réaliser des Shifts », a déclaré le

Pr Haufroid. « Dans le cas du CYP2C19, ça représente à peu près 10 % de la population, ce qui est non négligeable ».

Très récemment, une équipe d'experts internationaux a revu les recommandations pour les SSRI. Des recommandations ont été édictées pour une série de médicaments :

paroxetine, fluvoxamine, venlafaxine, vortioxetine et CYP2D6
citalopram, escitalopram, sertraline et CYP2C19
sertraline et CYP2B6

En fonction du médicament prescrit (ou à prescrire), le test de génotypage impliquera éventuellement un cytochrome différent. « Chez les métaboliseurs lents, on va soit proposer des réductions de doses, si on connaît le génotype, soit proposer de passer à un autre médicament qui n'est pas métabolisé par la même voie pharmacocinétique. Pour les métaboliseurs ultra-rapides, on va plutôt proposer de passer à un autre médicament plutôt qu'augmenter la dose, ce qui est une approche qui est moins souvent recommandée ».

Si l'on regarde ce qu'il se passe dans le cadre des antipsychotiques atypiques, certains d’entre eux, comme l'aripiprazole ou la rispéridone, sont très fortement métabolisés par le CYP2D6. Des études rétrospectives de cohorte récentes réalisées sur plus d'un millier de patients, sont arrivées à des conclusion similaires : « Mais ce qui est intéressant, c'est que vous voyez un effet aussi significatif sur les switch. C'est-à-dire qu'on retrouve une augmentation de switch chez les patients qui sont des métaboliseurs ultra-rapides et chez les patients qui sont des métaboliseurs lents ».

La pharmacogénétique
en pratique actuelle

« Aujourd’hui, on effectue plutôt des analyses rétrospectives, c'est-à-dire lorsque le clinicien voit une réponse anormale, on nous demande soit une analyse de monitoring thérapeutique, soit une analyse de pharmacogénétique. Mais ces analyses pourraient être réalisées, évidemment, de manière prospective et donc on pourrait, dans une situation idéale, adapter le traitement en fonction des caractéristiques génétiques. Sommes-nous prêts actuellement ? Techniquement parlant, oui. Maintenant, cela a beaucoup d'implications, notamment au niveau médico légal car si l’information génétique est connue dans le dossier médical du patient, ne pas la prendre en compte pourrait éventuellement être considéré à terme comme une erreur médicale », conclut le Professeur Haufroid.

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