Les tueurs en série nourrissent depuis longtemps l’imaginaire collectif, oscillant dans les médias entre monstruosité pure et figures presque romancées.
En pratique, le FBI définit le meurtre en série comme l’homicide illégal d’au moins deux victimes par le même auteur, lors d’événements séparés. Historiquement, ces auteurs ont été classés selon leur « motif » dominant : tueurs visionnaires en proie à des hallucinations, quêteurs de sensations fortes, meurtriers « missionnaires » visant des groupes ciblés, profils de pouvoir/contrôle fondés sur la domination totale (souvent sexuelle), ou encore crimes à dominante de « luxure ».
Depuis des décennies, narcissisme, psychopathie et sadisme sont régulièrement associés à ces profils, sans toujours se laisser enfermer dans des catégories simples. Le narcissisme, en particulier, est classiquement décrit sous deux versants : un narcissisme grandiose, fait de dominance, de sentiment d’exception et d’affirmation de soi, et un narcissisme vulnérable, marqué par l’hypersensibilité, l’insécurité, le retrait social et la peur de la critique. Or, la littérature sur les tueurs en série sexuels s’est longtemps focalisée sur les traits grandioses, reléguant au second plan les indices d’un narcissisme vulnérable, rarement analysés de manière systématique.
Dans l’étude « Narcissistic Traits in Sexually Motivated Serial Killers », des chercheurs de l’université de Bamberg ont précisément examiné comment ces deux facettes du narcissisme se manifestent et coexistent chez des tueurs en série masculins à motivation sexuelle. Partant d’une base de données internationale de plus d’un millier de tueurs en série, ils ont sélectionné un sous-groupe d’auteurs masculins, agissant seuls, dont les crimes étaient principalement sexuels, jugés aptes à comparaître et condamnés entre les années 1960 et 2021. Pour quarante-cinq d’entre eux, des confessions complètes ou des entretiens détaillés étaient disponibles, constituant l’échantillon final.
Plutôt que de chercher à poser un diagnostic de trouble de la personnalité narcissique, l’équipe a utilisé deux modèles contemporains de traits narcissiques : le modèle « admiration et rivalité », qui décompose le narcissisme grandiose entre stratégie d’auto-promotion charmeuse et style ouvertement compétitif et dévalorisant, et le modèle « isolement et inimitié », qui décline le narcissisme vulnérable en retrait social défensif d’une part, suspicion, envie et réactions rancunières d’autre part. Les chercheurs ont relu, mot à mot, les confessions policières, interrogatoires, entretiens du FBI et extraits de procès rapportant les paroles des tueurs, en se concentrant sur leurs récits des premiers meurtres et de l’enfance. Grâce à un manuel de codage structuré, deux analystes ont repéré et étiqueté, puis recodé de manière consensuelle, les segments renvoyant à l’admiration, à la rivalité, à l’isolement ou à l’inimitié.
Les résultats montrent que des contenus narcissiques apparaissent dans la grande majorité des récits. Les traits de narcissisme vulnérable sont même légèrement plus fréquents que les traits grandioses. Parmi eux, l’inimitié, faite d’envie, de suspicion, de projection d’hostilité sur autrui et de ressentiment, domine nettement, alors que l’ isolement social et le retrait défensif sont moins souvent exprimés. En parallèle, les deux facettes grandioses sont largement représentées : nombre de tueurs se décrivent comme exceptionnels ou particulièrement compétents, tout en dévalorisant ouvertement les autres et en réagissant avec agressivité quand leur statut est remis en cause. Des analyses statistiques confirment que ces quatre dimensions n’apparaissent pas au même rythme : l’inimitié vulnérable est surreprésentée, l’isolement plutôt rare, les composantes d’admiration et de rivalité se situant dans une zone intermédiaire.
Au-delà des fréquences, les combinaisons de traits au niveau individuel offrent un tableau plus nuancé. Les deux facettes grandioses voyagent souvent ensemble : ceux qui recherchent l’admiration manifestent aussi une rivalité agressive, et inversement. Les deux facettes vulnérables se retrouvent également associées, les auteurs décrivant un retrait social défensif exprimant souvent, dans le même temps, des sentiments d’attaque injuste, d’envie ou de persécution. Surtout, de nombreux tueurs présentent des « ponts » entre vulnérabilité et grandiosité : certains revendiquent une supériorité intellectuelle ou une habileté particulière, tout en racontant, ailleurs dans leur récit, de longues histoires de rejet, d’humiliation et de ressentiment. Un sous-groupe important combine ainsi rivalité grandiose et inimitié vulnérable, comme si une posture de domination affichée reposait sur un socle de méfiance défensive. L’analyse segment par segment suggère, enfin, que les traits liés à l’antagonisme défensif (admiration, rivalité, inimitié) tendent à se concentrer dans les mêmes extraits, tandis que l’isolement apparaît plus à distance, dans un espace psychique plus intériorisé.
Les chercheurs rappellent cependant que des traits narcissiques, même marqués, sont fréquents dans la population générale et ne prédisent pas à eux seuls la violence : bien des personnes sensibles à la critique ou friandes d’admiration ne commettent jamais de crimes.
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L’équipe de rédaction Tempo Today