L’édito de notre Dir med : « L’empathie... une valeur fondamentale oubliée ? »

Ce week-end, dans un hôpital bruxellois, un patient d’une soixantaine d’années, soigné pour un néo colique et entré par les urgences pour douleurs abdominales, est attendu au bloc opératoire, afin de pratiquer une laparotomie exploratrice. Le patient se faisant attendre, L’infirmière de salle envoyée en éclaireur, revient en expliquant que le patient, est en pleurs et voudrait parler à un médecin car personne ne l’a prévenu qu’il allait être opéré sur-le-champ...

« Se mettre à la place de l’autre, percevoir ce qu’il ressent »... Personne ne s’en était soucié... Imaginez une seconde que vous êtes traité pour un cancer, actuellement en rémission, que vous vous rendez aux urgences pour des douleurs abdominales et que sans vous prévenir on décide de vous « opérer » ? Quel sera votre ressenti, si ce n’est celui d’une récidive brutale et méchante de votre cancer ? Qui s’est soucié une seconde du choc émotionnel subi par ce patient, laissé sans explication sur un brancard en attendant son transfert au bloc ? Alors qu’il aurait suffi de quelques minutes pour lui expliquer tranquillement qu’il s’agissait d’un acte purement diagnostic, sans que cela ne signifie une aggravation de son cancer... quelques minutes à se mettre dans la peau de son patient pour l’apaiser et le réconforter... L’empathie, aurait-elle à ce point disparu de notre arsenal émotionnel et thérapeutique ?

Le terme « empathie » , né du grec « souffrance, ce qui est éprouvé » aurait été inventé en 1873 par Robert Visscher, signifiant « Einfühlung » c’est-à-dire « ressenti de l’intérieur ». Repris ensuite par le psychanalyste Otto Rank, qui trouvait que la relation empathique avec ses patients était plus importante que l’approche disciplinée et rigoriste de Sigmund Freud. En 1951, Carl Rogers, auteur de l’ouvrage « Client Centered Therapy », redéfinit l’empathie comme  « comprendre, sentir le monde privé du patient comme s’il était le vôtre, mais sans jamais perdre de vue le « comme si » ».¹

« L’empathie n’est pas une technique ni une méthode, mais une attitude du thérapeute par laquelle il approche son patient à travers son cadre de référence en le ressentant de l’intérieur »¹

L’empathie, n’est pas innée, mais lorsqu’elle est intuitive et spontanée, elle apporte de multiples atouts à notre vie quotidienne en favorisant la compréhension émotionnelle, la fluidité dans la communication, une meilleure gestion des conflits, l’efficacité d’un leadership et de meilleures relations interhumaines.²

Malheureusement, tout le monde n’est pas doté d’empathie... 10 à 15 % de la population souffre d’alexithymie qui signifie « absence d’émotion » et désigne la difficulté qu’ont certaines personnes à identifier et à exprimer des émotions, que ce soit celles ressenties par elle-même, mais aussi celles des autres. Ce déficit émotionnel est soit d’origine primaire, génétique soit secondaire, comme mécanisme d’adaptation à un traumatisme ( choc post-traumatique).³

Les pervers narcissiques, les psychopathes (maître de leurs propres émotions) et les sociopathes (plus impulsifs) sont d’autres pathologies psychiatriques, qui ont en commun un trouble de la personnalité antisociale qui se définit par une incapacité à ressentir de l’empathie, à percevoir et à comprendre les émotions des autres.⁴

Par contre, alors qu’on pourrait croire que les patients atteints de troubles autistiques (TSA) sont des personnes dénuées d’empathie, il n’en est rien ! Elles ont souvent une empathie émotionnelle très développée et ressentent d'autant plus les émotions des autres mais sont incapables de la partager ? Comme dans le syndrome d’Asperger, on parle « d’empathie immature ».⁵

Après des décennies, où le maître mot « rentabilité » laissa bien peu de place à l’empathie, le monde du travail recommence, aujourd’hui, à la considérer comme une valeur émergente à privilégier, reconnue comme un facteur de succès organisationnel.⁶

Seulement, voilà, il ne suffit pas de soudainement reconsidérer l’empathie comme une valeur sûre, pour être capable de la rattacher à son porte-clés des bons sentiments et à la ressortir comme un lapin du chapeau d’un magicien...

Pour terminer, je ne résiste pas, à vous proposer quelques citations dédiées à l’empathie :⁷ 

“Avant de critiquer quelqu’un, marchez un kilomètre dans ses chaussures.” Proverbe amérindien

 “L'expression la plus élevée de l'empathie est l'acceptation et le non-jugement.” Carl Rogers, psychologue.

“Voir avec les yeux d'un autre, écouter avec les oreilles d'un autre et ressentir avec le cœur d'un autre” Alfred Adler, psychiatre.

“Regardez par la fenêtre de l’autre pour essayer de voir le monde comme votre patient le voit.” Irvin D. Yalom, écrivain.

Si vous voulez que les autres soient heureux, pratiquez la compassion. Si vous voulez être heureux, pratiquez la compassion.” Dalaï-Lama.

Très bon week-end à tous
Dr. Patrick De Moor