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Les substances psychédéliques sont bien connues pour leur impact sur l’esprit humain. Considérées comme des stupéfiants, leur étude a été suspendue pendant des années à cause de la législation. Elles apparaissent aujourd’hui comme un traitement potentiel de la dépression, de l’anxiété et d’autres troubles psychologiques.
Mais s’agit-il d’un tournant en pharmacologie ou simplement d’une tendance en vogue dans la recherche ? Des études récentes éclairent sur leur importance clinique et la pertinence des preuves disponibles.
Il existe une série de plantes et de molécules, actives sur le cerveau humain de manière spectaculaire. En les consommant, l’expérience du réel d’un point de vue sensoriel et cognitif, change au point de transformer les consciences. C’est à cet effet que depuis plusieurs siècles, elles sont utilisées par des arts chamaniques à visée médicinale.
Ces substances, dites psychédéliques (du grec « qui révèle la psyché ») ont commencée à faire l’objet d’études dans la médecine contemporaine au 20e siècle. Omniprésentes dans la culture populaire durant les années 60 à des fins récréatives, elles furent alors classées comme stupéfiants et interdites au niveau international, mettant à l’arrêt toute recherche dans le domaine pendant de nombreuses années. Des utilités médicales émergeaient pourtant déjà à l’époque et montraient un intérêt dans la sphère psychiatrique.
Il faudra attendre les années 90 et l’arrivée de nouveaux composants psychoactifs pour les voir réapparaitre dans les sciences biomédicales. Et depuis le début du troisième millénaire, elles font l’objet d’un regain d’attention. Après l’introduction des IMAO dans les années 50 et des SSRI dans les années 80, certains n’hésitent pas à parler d’une véritable révolution de la pharmacopée. Ils soupçonnent une solution aux nombreuses cliniques résistantes aux traitements classiques. Mais pour analyser ce retour à la mode, il convient de comprendre leurs natures et l’état des connaissances à leur sujet.
Les hallucinogènes sérotoninergiques classiques
Cette première catégorie de psychédélique rassemble différentes molécules. Certaines, naturelles, ont une histoire assez ancienne. Plus récemment, d’autres furent découvertes en laboratoire comme en 1943 le célèbre LSD par Albert Hoffman.
Elles partagent une structure commune qui ressemble fortement à celle d’un neuromédiateur : la sérotonine. Regroupée pour ce mécanisme d’action similaire sur le récepteur aux tryptamines (5-HT) elles ont un tropisme particulier pour la sous-unité 5-HT2A, cible spécifique de l’effet psychoactif. Ces récepteurs, omniprésents dans le système nerveux central, abondent dans les zones corticales liées aux démarches complexes. Par leur influence sur le système glutaminergique, il a été montré qu’elles augmentaient la plasticité cérébrale.[i]
Cet ensemble de substances inclut des centaines de composés connus dont certains sont assez populaires. En plus de la célèbre découverte du Dr Hoffman, la DMT (Diméthyltryptamine) est utilisée encore aujourd’hui dans des cérémonies chamaniques traditionnelles en Amérique du Sud et sous nos latitudes.
Considérée comme la drogue la moins dangereuse[ii], la psilocybine est issue de champignons hallucinogènes. Peut-être à cause de la réputation sulfureuse des autres molécules, ce composé à fait l’objet de nombreuses expériences. Ces dernières sont prometteuses, à tel point que la FDA (le régulateur du médicament aux USA) l’a désigné plusieurs fois comme « traitement révolutionnaire », permettant des études accélérées sur le sujet.
En effet, plusieurs essais cliniques témoignent d’un impact positif sur la dépression, en particulier si elle est résistante aux approches classiques[iii]. Et dans une moindre mesure, des indications émergent d’une éventuelle efficacité sur la prise en charge des troubles obsessionnels compulsifs et de l’addiction à l’alcool.[iv]
Cependant, deux méta-analyses récentes sur ce point montrent que si toutes les observations sont encourageantes, il manque encore de preuves pour s’accorder définitivement sur la question. À cause de possibles biais et de la taille relativement faible des échantillons, les conclusions recommandent de plus amples recherches sur ce domaine prometteur.[v] [vi]
La MDMA
La MDMA (3,4-Methylenedioxymethamphetamine) est une molécule découverte dans les années 1970 par Alexander Shulgin. Dérivée des amphétamines, elle fait partie d’une catégorie de substances qu’on nomme entactogènes qui « crée un contact à l’intérieur ». Ses effets délétères et son potentiel abus sont bien connus. Elle a été popularisée par sa forme en cachet appelée « ecstasy » massivement ingérée à des fins récréatives. À haute dose ou surconsommée, elle est neurotoxique et provoque des hyperthermies.
Cela dit, dès ses débuts, il a été montré qu’elle augmentait les compétences sociales et communicatives. Son usage adéquat, en combinaison avec une prise en charge psychologique, accroît le sentiment d’affiliation et d’intégration. Par ailleurs, elle diminue la mémoire liée à la peur. Ces mécanismes sont causés par la libération de sérotonine et l’activation des récepteurs 5-HT.4
C’est dans le traitement spécifique du PTSD que le produit montre les résultats les plus probants. Probablement par un effet cérébral direct, mais également par un renforcement du lien avec le thérapeute. Dans le cadre de ces découvertes, son utilisation a été approuvée pour des recherches cliniques en vue d’une autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis. Les protocoles sont aujourd’hui en phase 3 et suscitent de l’enthousiasme.[vii]
L’engouement pour le traitement novateur réside aussi dans les effets particulièrement robustes de l’amélioration thérapeutique, avec une efficacité soutenue jusqu’à un an après l’intervention. L’étude de la molécule demeure un domaine prometteur et sa distribution permettra sans doute d’étoffer la littérature sur le sujet. Mais, malgré les preuves, la prudence reste de mise, comme le montre une méta-analyse récente qui peine à trouver une quantité suffisante de données à exploiter.[viii]
La kétamine
La kétamine est un anesthésique dissociatif. Elle est antagoniste du récepteur NMDA et activatrice de la voie mTORC1. Et il est encore difficile à l’heure actuelle de comprendre par quelle combinaison ces mécanismes sont à l’œuvre dans l’impact sur la psyché. À dose infra-anesthésique, elle provoque chez les usagers un effet dissociatif et potentiellement hallucinogène.4
Contrairement aux substances précédentes, elle bénéficie déjà depuis plusieurs années d’une utilisation en salle d’opération. À cause d’une consommation récréative connue en dehors du contexte médical, elle a été placée en 1999 sous surveillance rapprochée par les USA. Elle a pu cependant faire l’objet de recherches et dans ce cadre, la FDA a autorisé la mise sur le marché d’un spray nasal en 2019.
Cette décision s’appuie sur l’observation d’un important effet antidépresseur de courte durée permettant de diminuer les symptômes et les idéations suicidaires pendant 24 heures.[ix]
Si la médication est conseillée dans le cadre de dépressions résistantes aux traitements conventionnels aux Etats-Unis, les résultats des études restent préliminaires. Une réelle question demeure quant aux bénéfices à long terme.[x] La consommation de cette substance au profil de risque rassurant sera certainement scrutée dans les années à venir.
Alors, effet de mode ou révolution ?
Il existe sans doute un effet de mode autour de cette thématique, mais il est motivé par la découverte concrète de mécanismes neurobiologiques. La grande nouveauté étant que ces produits mettent au travail la plasticité cérébrale.[xi] Il s’agit d’un monde inédit à explorer et il faudra encore du temps et des études pour confirmer la place de ces composés dans la pharmacopée. Toutefois, les secteurs où les hallucinogènes ouvrent une porte sont prometteurs. Addictions, TOC, idées suicidaires, anxiété, dépressions sont autant de pathologies pour lesquelles les soignants sont aujourd’hui démunis. La perspective de substances efficaces et l’annonce de thérapies aux effets durables ont encouragé les investissements massifs dans le domaine. Il est donc imaginable d’obtenir assez rapidement des preuves solides et des traitements facilement disponibles.
Mais là où une véritable révolution est en cours, c’est au niveau idéologique. La « guerre contre les drogues » menée dans le monde par les États-Unis pendant de nombreuses années a eu des conséquences sur l’avancement des connaissances. Au regard des dégâts occasionnés par des traitements pourtant autorisés comme les opiacés et les benzodiazépines, il est indispensable que la science étudie ces molécules psychédéliques aux effets impressionnants, mais relativement inoffensifs.
Une fois n’est pas coutume en matière d’innovation, c’est outre-Atlantique que se libèrent en premier les verrous. C’est ce que montre les choix récents de la FDA ou, par exemple, la décision des autorités canadiennes de permettre l’utilisation de champignons hallucinogènes comme thérapie compassionnelle pour des patients en fin de vie.
Dr Thomas Vaessen
Cet article est extrait du numéro 436 du Tempo Medical. Pour en lire plus, rendez-vous dans votre version papier ou sur la version digitale en cliquant ici.
[i] Carhart-Harris R. (2018). The Therapeutic Mechanisms of Psychedelic Medicine, Harvard Medical School, vidéo en ligne : https://youtu.be/SwMHr43fTqE (dernière consultation le 15/11/2021)
[ii] Nutt, D. J., King, L. A., & Phillips, L. D. (2010). Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis. In The Lancet (Vol. 376, Issue 9752, p. 1558‑1565). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/s0140-6736(10)61462-6
[iii] Castro Santos, H., & Gama Marques, J. (2021). What is the clinical evidence on psilocybin for the treatment of psychiatric disorders? A systematic review. In Porto Biomedical Journal (Vol. 6, Issue 1, p. e128). Ovid Technologies (Wolters Kluwer Health). https://doi.org/10.1097/j.pbj.0000000000000128
[iv] De Gregorio, D., Aguilar-Valles, A., Preller, K. H., Heifets, B. D., Hibicke, M., Mitchell, J., & Gobbi, G. (2021). Hallucinogens in Mental Health: Preclinical and Clinical Studies on LSD, Psilocybin, MDMA, and Ketamine. The Journal of neuroscience : the official journal of the Society for Neuroscience, 41(5), 891–900. https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.1659-20.2020
[v] Galvão-Coelho NL, Marx W, Gonzalez M, Sinclair J, de Manincor M, Perkins D, Sarris J. Classic serotonergic psychedelics for mood and depressive symptoms: a meta-analysis of mood disorder patients and healthy participants. Psychopharmacology (Berl). 2021 Feb;238(2):341–354. https://doi.org/10.1007/s00213-020-05719-1
[vi] Goldberg, S. B., Pace, B. T., Nicholas, C. R., Raison, C. L., & Hutson, P. R. (2020). The experimental effects of psilocybin on symptoms of anxiety and depression: A meta-analysis. In Psychiatry Research (Vol. 284, p. 112749). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/j.psychres.2020.112749
[vii] Mitchell, J.M., Bogenschutz, M., Lilienstein, A. et al. MDMA-assisted therapy for severe PTSD: a randomized, double-blind, placebo-controlled phase 3 study. Nat Med 27, 1025–1033 (2021). https://doi.org/10.1038/s41591-021-01336-3
[viii] Bahji, A., Forsyth, A., Groll, D., & Hawken, E. R. (2020). Efficacy of 3,4-methylenedioxymethamphetamine (MDMA)-assisted psychotherapy for posttraumatic stress disorder: A systematic review and meta-analysis. Progress in neuro-psychopharmacology & biological psychiatry, 96, 109735. https://doi.org/10.1016/j.pnpbp.2019.109735
[ix] Xiong, J., Lipsitz, O., Chen-Li, D., Rosenblat, J. D., Rodrigues, N. B., Carvalho, I., lui, L., Gill, H., Narsi, F., Mansur, R. B., Lee, Y., & McIntyre, R. S. (2021). The acute antisuicidal effects of single-dose intravenous ketamine and intranasal esketamine in individuals with major depression and bipolar disorders: A systematic review and meta-analysis. Journal of psychiatric research, 134, 57–68. https://doi.org/10.1016/j.jpsychires.2020.12.038
[x] Kryst, J., Kawalec, P., & Pilc, A. (2020). Efficacy and safety of intranasal esketamine for the treatment of major depressive disorder. Expert opinion on pharmacotherapy, 21(1), 9–20. https://doi.org/10.1080/14656566.2019.1683161
[xi] Vollenweider, F., Kometer, M. The neurobiology of psychedelic drugs: implications for the treatment of mood disorders. Nat Rev Neurosci 11, 642–651 (2010). https://doi.org/10.1038/nrn2884
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