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L’édito de notre Dir Med: « Y-a-t-il un médecin dans l’avion ? »

« Y-a-t-il un médecin dans l’avion ? » Cette annonce faite au cours d’un vol, où vous êtes présent comme médecin passager, quel que soit votre spécialité, suscite toujours de nombreuses interrogations quant à nos obligations et aux risques juridiques encourus. Je vais donc essayer de vous éclairer sur le sujet…

Sur un vol Bangkok-Munich de la Lufthansa, le 8 février dernier un passager allemand de 63 ans est décédé, en se vidant de son sang par hématémèse. Avant le décollage l’homme était lipothymique avec sueurs froides et polypnées. Appelé par le commandant de bord, un jeune médecin passager est allé l’examiner et a jugé que le patient était en état de voyager… Mais peu de temps après le décollage son état s’est rapidement dégradé et il est mort en vol, obligeant l’avion à rebrousser chemin pour se poser en Thaïlande.(1)

 

Jusqu’où, dans pareil cas,  notre responsabilité de médecin est-elle engagée ? Pouvons-nous être poursuivi pour « erreur médicale » ou a contrario pour « avoir fait atterrir un avion sans raison suffisamment valable » ? De quelle juridiction dépendons-nous en vol :  celle du sol que nous survolons ou celle de l’avion dans lequel nous sommes ? De quoi disposons-nous à bord ?

 

En terme de responsabilité(2) :

 

  1. En responsabilité civile : Il n’y a pas de contrat entre le malade et le médecin lorsque celui-ci intervient à la demande du commandant de bord. L’action revêt un caractère bénévole en utilisant les moyens à disposition par la compagnie (trousses de secours, liaison radio avec d’autres médecins au sol). Le médecin appelé devient préposé de la compagnie aérienne qui répond des fautes commises par ce préposé temporaire.
  2. En responsabilité pénale : celle du médecin passager est engagée lorsqu’il se rend coupable de mise en danger de la vie d’autrui ou de non-assistance à personne en péril. En vol, ce dernier délit naît si le médecin décline, sans raison valable ou force majeure, la demande lui étant faite de venir en aide au passager malade. Les choses sont très claires : la non-assistance à personne en péril consiste bien en une abstention volontaire d’intervenir après avoir été clairement sollicité. Certains jugent parfois bon de conseiller aux praticiens confrontés à un appel de rester anonymes selon le précepte du « pas vu pas pris ». Il s’agit donc là, apparemment, d’un très mauvais conseil !
  3. En responsabilité ordinale : le code de déontologie médicale stipule que le devoir d’assistance au malade s’entend de la même façon sur terre ou dans les airs. Le fait de ne pas s’estimer compétent en regard de la pathologie dont souffre le passager n’autorise pas pour autant un médecin à demeurer passif. Il n’est cependant tenu qu’à une obligation de moyen et non de résultat. Si possible, il doit demander au patient, devant témoins, l’autorisation d’intervenir en lui précisant que ses compétences ne relèvent pas de la médecine générale ou de la médecine d’urgence. En cas de problème grave, il peut demander de dérouter l’avion, mais la décision finale revient au commandant de bord.(3)

 

 

Où sommes-nous, au juste, lorsque nous intervenons dans un avion ? Et de quelle juridiction dépendons-nous? Pour répondre à cette question, qui n’est certes pas très évidente,  le mieux est de se tourner vers les traités internationaux, concernant la nationalité d’un bébé qui nait dans un avion…(4)

 

En Belgique et en France, le droit du sang, l’emporte sur le droit du sol.  C’est la nationalité des parents qui déterminera celle du nouveau-né. Mais pour la plupart des pays du continent américain c’est le droit du sol qui prévaut. Si vous prenez un vol en direction du Brésil sur une compagnie brésilienne, vous êtes déjà sur le territoire brésilien et  votre enfant pourrait très bien obtenir la double nationalité franco-brésilienne. Ce n’est toutefois pas le cas pour les Etats-Unis qui ont adopté un amendement indiquant que leurs avions ne faisaient pas partie du territoire national s'ils ne survolaient pas le pays.(4)

 

De quel matériel disposons-nous dans un avion ? Chaque avion est équipé d’une trousse de premiers secours et d’une trousse médicale d’urgence. La trousse de premiers secours contient des pansements, bandages, désinfectants et médicaments de première nécessité (antalgiques, anti-nauséeux, anti-diarrhéiques…). La trousse médicale d’urgence est conservée dans le cockpit, et ne peut être ouverte qu’avec l’accord du commandant de bord. Elle contient : seringues, cathéters, stéthoscope, tensiomètre, médicaments... Un circuit d’oxygène de premiers secours est obligatoire. Les avions de ligne disposent également de plus en plus souvent d’un défibrillateur.(3)

 

Nous sommes souvent inquiets quant à notre responsabilité, lorsque nous sommes amenés à intervenir, dans le cadre des voyages aériens, dans des conditions difficiles d’exiguïté, sans notre matériel et parfois en dehors de nos compétences. Cela poussent certains d’entre-nous à ne pas se signaler et à rester anonyme.  Il semblerait que ce ne soit pas la bonne attitude et que nous pouvons être rassuré car les compagnies aériennes assurent, pour les principales d’entre elles, leur responsabilité pour les soins prodigués bénévolement à la demande du pilote.

Lors d’un vol de retour de Californie vers l’Europe, la phrase magique fut prononcée  par le commandant de bord. Constatant avec soulagement qu’un de mes confrères répondait à l’appel, je me détends, lorsqu’une seconde annonce résonne: “Y-a-t-il un autre médecin dans l’avion, parlant francais?” Je me dirige donc résigné vers le passager en détresse. Une parisienne, aux jambes comme des poteaux, se plaignant de douleurs aux mollets… Le chef de cabine  me glissant dans l’oreille: “Docteur, s’il faut faire demi-tour c’est maintenant car après c’est l’atlantique! 2 HBPM plus tard, nous poursuivions notre route vers le vieux continent. Mais le comble de l’histoire, est que la parisienne, passa le reste de son vol en classe business pour étendre sa jambe, alors que moi,  je suis resté en éco! Imaginez si j’avais demandé un atterrissage en urgence pour suspicion de TVP et risque d’EP, ce que cela aurait coûté à la compagnie: Une nuit d’hôtel pour tous les passagers, en plus d’un atterrissage et d’un décollage supplémentaires. A ce prix là,  j’aurais mérité un billet en 1ère jusqu’à la fin de mes jours!

Bon vol…

 

Dr. Patrick De Moor

 

Références :

(1) https://www.lepoint.fr/societe/un-passager-meurt-en-plein-vol-apres-avoir-crache-des-litres-de-sang-11-02-2024-2552115_23.php#11

(2) https://lecardiologue.com/transport-aerien-la-responsabilite-du-medecin-en-avion/#:~:text=L'article%204127%2D9%20oblige,de%20son%20domaine%20de%20comp%C3%A9tences.

(3) https://www.geo.fr/voyage/y-a-t-il-toujours-un-medecin-dans-lavion-213572

(4) https://www.lepoint.fr/societe/un-passager-meurt-en-plein-vol-apres-avoir-crache-des-litres-de-sang-11-02-2024-2552115_23.php#11

 

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One comment on “L’édito de notre Dir Med: « Y-a-t-il un médecin dans l’avion ? »”

  1. C'est un sujet très délicat surtout s'il y a des conséquences irréversibles pour le patient comme dans le cas du patient décédé. Dans ce cas le jeune médecin a clairement fait une erreur médicale fatale parce qu'au vu de la description de l'état du patient je pense que la seule solution était le transport dans les meilleurs délais dans un environnement hospitalier.La patiente aux grosses jambes a été prise en charge correctement, mème si elle aurait pu faire une embolie pulmonaire massive en cours de vol.
    En fin de compte je ne donnerai jamais lors de ma réservation à une compagnie aérienne l'information d'être médecin par écrit, je demanderai si possible l'accord du patient de le voir,examiner o.a. et je spécifierai clairement dans ma conclusion que je suis médecin sur terre et que je ne saurai statuer avec le back-up scientifique requis sur son aptitude de vol.
    Il y a des pays, comme les Etats-Unis, où il vaut mieux s'abstenir de tout acte médical et simplement recommander le transport immédiat en milieu médicalisé hospitalier par un moyen de transport adapté.
    Ne jamais oublier de ne pratiquer que des actes médicaux indispensables à la survie du patient car nous ne sommes en général pas médecin reconnu dans le pays en question.

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